Savonnage, rinçage, séchage... [Premier post]

Un soupir agita la poussière ambiante.
Christobal, penché sur une machine à laver le linge, récupérait une chemise et un pantalon laissés là il y a un peu moins d'une heure.
Il trouvait la vie ici tellement morne... Il se trouvait décadent et désoeuvré. Il se passait bien des choses troublantes parfois mais... Elles avaient cessé de suciter chez lui de l'intérêt, depuis bien longtemps envolé. Il ne se voyait absolument pas finir sa vie dans ce manoir morbide et dépourvu de tout ce qui faisait son monde il y a deux ans, avant qu'il ne chute comme un moineau tombé du nid dans cette bâtisse étrange.

Il avait cessé depuis longtemps également de chercher une sortie. Par désespoir ? Non par fatigue. Mais maintenant il se sentait prêt ! Prêt se donner corps et âme pour quitter cet enfer... Mais par où commencer ? L'atmosphère viciée et vicieuse de l'endroit incitait presque à la folie...


Tout en remuant de sombres pensées, son bras se tendit dans la machine. Ses cheveux bouclés et soyeux, moirés et doux, cascadaient devant lui, formant un rideau autour de son visage marmoréen. Comme toujours, il semblait froid et hostile. Semblait seulement... Et rares étaient ceux qui ne se laissaient pas duper par les apparences...

Il attrapa quelques pinces à linge, attacha soigneusement ses vêtements à un fil de fer tendu dans la pièce. Il avait juste à tendre les bras devant lui. Grand comme il était, il n'avait jamais de mal à atteindre le fil.

C'était effrayant de voir comme on pouvait s'habituer à un mode de vie, à un lieu, à un emprisonnement injustifié...

Kyne déambulait dans le manoir, s’attardant aux détails malgré l’angoisse qui tyrannisait son cœur. Il arpentait les couloirs depuis bientôt une heure. Ses vêtements détrempés lui collaient à la peau, moulant les formes de son corps fins. À son grand soulagement, le sac dans lequel il trimbalait ses travaux et ouvrages scolaires semblait imperméable. En effet, lorsqu’il eut franchi les portes du hall d’entrée, le garçon vérifia immédiatement l’état de ses documents. Rassuré, le jeune homme crut bon d’analyser les lieux. Il s’aventura donc dans le manoir.

À peine quelques pas plus loin, son chemin croisa le premier obstacle : une décision. Deux escaliers aux directions opposés s’offraient à lui. Songeant qu’il pourrait revenir en arrière, le blond emprunta celui de droite.

Depuis, aucun signe de vie, aucun téléphone et cette peur qui lui nouait l’estomac. La question se posa alors : que craignait-il? L’inconnu probablement, ainsi que l’aspect étrange du bâtiment. Malgré les lustres suspendus à intervalle régulier dans le couloir, celui-ci demeurait sombre voir même sinistre. Routel commençait à désespérer. Il pressa le pas, n’inspectant plus les portes, les peintures ni les détails de l’endroit. Bientôt, il courut dans l’illusion qu’il tomberait miraculeusement sur une porte de secours.

Haletant, Kyne dut ralentir l’allure s’il voulait conserver ses forces. La faim le tenaillait également puisqu’il avait omis de manger un morceau au café, trop absorber par ses devoirs qu’il avait entamé là-bas. Bref, les gargouillements plaintifs de son estomac lui rappelaient le vide qui le comblait.

Soudain, son regard croisa l’entrebâillement d’une porte. Distinguant une silhouette, l’étudiant se risqua à pénétrer dans la pièce qui s’avérait être une buanderie. Peu importait son apparence pouilleuse mais surtout humide. Une présence humaine le réconfortait et il ne put s’empêcher de sourire. Mais son visage retrouva rapidement son habituelle expression sérieuse lorsqu’il demanda :

"Aidez moi s’il vous plait…je me suis égaré."

Christobal sursauta presque quand une voix s'éleva, teinté d'un léger accent français. Il n'avait pas fait attention aux bruits alentours. Il n'y faisait plus attention depuis longtemps...
Son visage de marbre se tourna vers le jeune homme. Il avait inconsciemment froncer ses sourcils face à l'allure de ce bonhomme. Il ne l'avait jamais vu auparavant. Il était donc nouveau ? Le pauvre...

C'était toujours difficile au début. On cherche, on s'affole, on désespère, on ose, on se fait du mal... Et tout ça pour se rendre compte que sortir de ce manoir est impossible.

Il voulait qu'il l'aide ? L'aide à quoi, sortir ? A la bonne heur...

Il ne dit rien, fixant le blondinet, plongé dans ses pensées, avant de se tourner à nouveau vers sa chemise qui ne tenait que par une épaule au fil de fer.

"Je suis désolé..."

Une seconde pince fut vite ajoutée et le grand homme rapporta son regard gris et profond vers celui du nouveau venu.

"Je crains que cela ne soit pas dans mes capacités."

Il garda le silence quelques secondes d'un air grave mais neutre, puis marcha tranquillement jusqu'à la machine à laver qu'il avait utiliser pour en refermer le couvercle.
S'il avait pu l'aider, il l'aurait fait de bon coeur. Mais là, tout ce qu'il pouvait faire, c'était de lui dire la vérité... Personne ne sortait jamais de cet endroit maléfique et paranormal.

"Je crains également que vous soyez pris au piège ici..."

La phrase tomba comme une hache, aussi tranchante et cruelle. Il se la répéta encore et encore, mais chaque fois, elle sonnait tout aussi faux. Devant le comportement froid de son présumer sauveur, le moral à la hausse du garçon déclina rapidement. La sentence accomplit le reste du trajet pour le faire sombrer dans l’inconvenance.

"Vous…vous blaguez n’est-ce pas?"

Son regard soleil croisa les deux prunelles de lunes de son interlocuteur. Non. L’image sérieuse qu’il renvoyait prouvait la véridicité de ses paroles. Cet homme ne mentait pas malheureusement, étouffant la lueur d’espoir qui vacillait timidement dans son cœur. Kyne inspira puis expira avec lenteur, mesurant la gravité de la situation. Hélas, la réponse à cette nouvelle énigme semblait hors de porté et échappait à l’entendement. Tout ceci défiait les lois de la logique qu’il avait si sagement apprise. C’était impossible, improbable, irréel. Le blond crut un instant qu’il sombrait dans la folie et que toute cette mise en scène était le fruit de son imagination de dément. Cependant, il savait amèrement qu’il avait toute sa raison, en fait, jamais il ne fut plus lucide. Ses méninges réfléchissaient à deux cents à l’heure. Néanmoins, aucun calculs mathématiques ou solutions scientifiques n’appuieraient les faits présents ni ne les expliqueraient.

Profondément déstabilisé, ses yeux devinrent miroir. Le traumatisme de toute cette situation illogique déclencha une de ses transes dont il ne ressurgissait parfois que des heures plus tard. Mais ce fut différent. Son désespoir était si prédominant que le garçon battit des paupières, revenant rapidement sur terre. Presque implorant, le blond murmura faiblement.

"Aidez-moi…s’il vous plait…Je suis affamé et j’ai très froid. Si vous pouviez simplement m’indiquer où je pourrais…"

En prise avec une petite quinte de toux, Kyne dut s’interrompre un instant, se couvrant la bouche d’une de ses mains afin de ne pas contaminer toute la pièce. Avec toute cette histoire, il avait attrapé froid.

"…Où je pourrais trouver ce que je cherche. "

Le plus jeune sembla se perdre dans la révélation, s'égarant dans les méandres de cette réalité si cruelle qui s'avérait être la sienne... La leur...
Oui c'était dur, c'était toujours dur. Et ça Christobal le savait. Il compatissait à sa douleur en silence et sans rien laisser paraître, attendant que la pillule passe dans les esprits tourmentés du pauvre jeune homme.
Une évidence s'imposa à lui tandis que le blond cogitait sur ses paroles. Il n'était qu'un amer résigné... Cette pensée le fit se renfrogner. Lui qui n'aimait pas la négligence... Tssss...
Il fallait qu'il fasse quelque chose, qu'il se reprenne ! Que restait-il de Christobal Blackstone ? Le grand Christobal Blackstone ?
Plus grand chose sûrement...


Le trouble du nouvel arrivé semblait grand et fit de la peine à Christobal. Biensur rien ne se voyait jamais sur son visage. Tout ce qui se passait dans son coeur était un secret des mieux gardés.

Il recommença alors de l'implorer avant de tousser pour ensuite reprendre.

Il avait faim et froid. Par conséquent, il voulait donc de la nourriture et de la chaleur.

*Bon...*

La voix grave et chaude de Blackstone s'éleva à nouveau dans la morbide buanderie.

"Suis-moi."

Il fourra ses mains dans ses poches de son air désintéressé et marcha tranquillement jusqu'à la porte. Il la franchit et ne se tourna pas une seule fois vers Kyne. Il avait en tête de le mener dans la grande salle à manger.

Kyne lui emboîta le pas tout aussi silencieux. Ils formaient à eux deux un étrange cortège. Le grand inconnu à l’allure aussi sombre que le bâtiment et lui, le jeune détrempé. Ses chaussures produisaient un bruit de succion lorsqu’il marchait puisqu’elles étaient gorgées d’eau. Ce son rompit le silence pendant la marche.

Le blond ne pensait plus à rien. Emprisonné dans un néant de tristesse, il fut chanceux que ses jambes le supportent encore. En fait, son corps fonctionnait sans son esprit. Celui-ci, perturbé, n’acceptait pas encore sa vérité. Pourtant, il se souvenait très bien de la barrière qui lui bloqua chemin lorsqu’il voulut retourner à la rue. Il avait franchit un seuil de trop…et ce serait probablement son dernier. Le garçon baissa les yeux, déstabilisé sous le poids lourds de ce fait. Sa peine résultait de sa faute. Puis il songea à sa famille. Son père et sa mère qui avaient déjà perdu un enfant…comment réagiraient-il à la nouvelle d’une deuxième perte? Wrath ferma les yeux puis déglutit avec peine. Un goût amer dans la bouche, il ravala les larmes qui perlaient à ses yeux.

Non, il ne devait pas se laisser aller. Il parviendrait sûrement à trouver un moyen de communication avec l’extérieur. Pour l’heure, il n’osait poser la question, portant déjà son lot de mauvaises nouvelles.

Routel releva ses prunelles dorés et se surpris à contempler son guide. Cet homme de grande stature dégageait une grâce, un tel charisme que Kyne ne put en détacher son regard pendant un bref instant. Puis, il détourna furtivement les yeux. Ce n’était pas le moment de s’amuser.

"Au fait…merci."

Le jeune homme se garda d'ajouter quoi que ce soit et entra dans la marche. Débuta alors une progression silencieuse et presque macabre à travers le manoir Harland. Presque.
Le 'splotch' produit à chaque fois que Kyne posait le pied par terre était assez grotesque. Même qu'au détour d'un couloir, Christobal arqua un sourcil pour jeter un oeil furtif à cet étrange oiseau qui était venu se noyer dans les ténébères de cette masure démoniaque.

Le pauvre jeune homme semblait pris dans ses réflexions et ses yeux reflettaient sa peine. Il ne semblait même plus faire attention à la splendide décoration du lieu.


Blackstone lui aussi venait de faire un saut dans ses pensées. Il se disait à l'instant même que cette malédiction faisait de nombreuses et malheureuses victimes. Il se revoyait lui-même, le jour où il était tombé dans le piège de cette demeure, les circonstances de ce jour et l'état d'esprit qu'il avait en pénétrant ce qui allait être dans résidence de plaisance durant deux ans...

Son visage était toujours neutre alors qu'ils se rapprochaient de la salle à manger.

Le silence fut alors rompu par le blond.

Blackstone tourna légèrement son visage vers lui. Un petit sourire tirait ses lèvres, puis disparut quand il reporta son regard vers l'avant. Il posa sa main sur un battant de verre.

[Suite à La Grande Salle à Manger]